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Liber

Mithra, Zoroastre et la préhistoire aryenne du christianisme

Charles Autran

« Voici un livre écrit dans l'enthousiasme, et capable de susciter des vocations. Il s'adresse à un public assez large, ce qui en excuse d'avance certains rapprochements un peu gros et certaines redites, point inutiles quand il s'agit de notions ou de …

« Voici un livre écrit dans l'enthousiasme, et capable de susciter des vocations. Il s'adresse à un public assez large, ce qui en excuse d'avance certains rapprochements un peu gros et certaines redites, point inutiles quand il s'agit de notions ou de termes peu familiers au commun des lecteurs. M. Autran se défend de rien vouloir apprendre aux spécialistes ; c'est là sans doute une affectation de modestie, destinée à faire accepter l'audace de ses vues d'ensemble ; car, il suffit de le connaître un peu pour s'attendre à trouver dans un livre de lui, surtout sous un pareil titre, pas mal de substance explosive. Au reste, si rares sont les personnes à la fois compétentes dans toutes les disciplines où s'est exercée l'active curiosité de M. Autran, qu'on avouera généralement, après la lecture de son livre, y avoir beaucoup appris.

Précisément, M. A. déplore le manque de relations et d'échanges qui tient séparés des savants dont les domaines scientifiques, dans la réalité, se touchent, se pénètrent et s'expliquent si souvent l'un par l'autre. Les deux parties de son livre tendent à faire voir ce que l'étude de l'antiquité classique, comme celle de la tradition judéo-chrétienne, gagnerait à un contact permanent avec les disciplines iraniennes. Or, les langues et les littératures de l'Iran ancien et moyen ne sont presque nulle part l'objet d'un enseignement régulier. On comprendra que je n'insiste pas sur ce sujet.

Outré ses deux grandes thèses, dont il sera question ci-dessous, l'ouvrage contient plusieurs exposés de haute vulgarisation qui suffiraient à le recommander. Le chapitre des mystères de Mithra, qui doit presque tout aux travaux de M. F. Gumont, met en relief les ressemblances qui unissent le mithriacisme et le christianisme et qui expliquent, pour le moins, que la diffusion du premier jusque dans nos contrées ait pu préparer les esprits à recevoir le second. L'esquisse du mazdéisme et de la religion de Zoroastre, qui est la première que l'on offre au public français depuis l'apparition — et, malheureusement, la disparition — du petit livre de V. Henry, tient compte des travaux qui, en trente ans, ont renouvelé le sujet. La religion d'Israël est l'objet d'un aperçu qui rendra service dans les pays qui doivent sans doute à leur formation catholique de l'ignorer presque entièrement. Enfin, les fouilles de l 'Indus, grâce au parti qu'on en tire pour l'histoire générale et aux photographies qui illustrent le chapitre (rue de Mohenjodaro, statuette de danseuse, 24 siècles avant notre ère, sceaux à sujets religieux, art animalier) exciteront chez plus d'un lecteur un étonnement salutaire.

Le livre s'ouvre sur un grandiose panorama où les dieux, les prophètes, les martyrs et les réformateurs qui se sont succédé en 5000 ans sur cette vraie Terre Sainte qu'est l'Iran défilent en l'espace de quelques pages : cultes chalcolithiques, divinités indo-iraniennes, mazdéisme, réforme de Zoroastre, transformation d'Israël, vaste expansion du mithriacisme, puis du manichéisme, renouvellement du bouddhisme, cassure de l'Islam, de tout cela est faite la grandeur religieuse du monde iranien.

La première des deux grandes thèses de l'ouvrage, c'est l'identité foncière, sous des noms divers, des cultes de Çiva et de sa parèdre dans l'Inde, de Mithra et d'Anâhitâ depuis l'Indus jusqu'à la Cappadoce, de tous les cultes de la Grande-mère et du Grand Dieu d'Asie Mineure et du monde égéen. On voudrait avoir la place suffisante pour engager la discussion dans le détail. Car, tout n'est pas également probant. Aussi bien, on devait s'y attendre, dans un livre qui est tout le contraire d'une mise au point. Parmi les suggestions qu'il contient, et qui témoignent d'une immense information au service d'un esprit délié, c'est affaire aux spécialistes d'exploiter les unes, de faire justice des autres. Signalons à leur attention quelques-uns des arguments invoqués par l'auteur pour placer à l'origine de ces différents cultes un couple chalcolithique, attesté par Mohenjodaro, répandu de là dans l'Inde du Sud, dans l'Iran et, par des voies diverses, dans l'Asie mineure et l'Egée. Le dieu mâle de M.-d., comme Çiva, a plusieurs visages et plusieurs yeux ; l'auteur aurait pu encore faire état du triçulya, emblème ordinaire de Çiva et qui, comme on le voit dans l'album de Coomaraswami « Eléments of buddhist iconography » (information de M. de la Vallée- Poussin, à la Société belge d'études orientales), figure identiquement sur la représentation de M.-d , où M. Autran la prend pour de simples cornes. Les trois yeux de Çiva et de ce proto-Çiva se retrouvent dans le monde grec, notamment dans le Zeus Triopas, servi par des prêtres-danseurs et vénéré par le peuple lycien des Τερμίλαι ou Τρεμίλαι, où l'on retrouve le nom des Dravidas, Tramilas, Tamils, grand peuple de l'Inde méridionale, héritier de la civilisation pré-aryenne. Cette identification est confirmée par une foule de rapprochements, dont les plus frappants sont les suivants. Le nom des Φοίνικες, desquels les Grecs ont conscience de tenir leur civilisation et qui proviennent du pays que les Égyptiens appellent Pwjn-t, dans la région Océan indien - Mer Rouge, a une etymologie dravidienne : panei « le palmier ». Rien d'étonnant à ce que φοίνιξ désigne le même arbre en grec. Mieux encore, le chef des Termilai s'appelle d'un nom, Pandiôn, qui veut dire « roi des Pândiyas », un des grands groupes de population tamile ; de part et d'autre, en Lycie comme au Malabar, existe le matriarcat. Enfin, Prométhée est le « seigneur des pramâthas », démons qui valent à Çiva le titre de pramâtha-pati. C'est là, on en conviendra, un ensemble de concordances qui paraît exclure le hasard.

La nouveauté de cette première thèse s'explique par la nouveauté des matériaux qu'elle met en oeuvre : langues peu connues, fouilles nouvelles ; elle fait appel surtout à l'onomastique et à l'archéologie.

Il en va autrement de la seconde, qui repose, au contraire, sur l'élaboration récente d'un ancien matériel philologique : en l'espèce, sur les résultats nouveaux de la critique biblique indépendante et sur l'étude systématique des textes pehlevis. Il s'agit de prouver que la religion juive a subi, à partir de l'exil et sous de continuelles influences iraniennes, une transformation radicale, qui a conditionné l'apparition du christianisme. La démonstration est délicate, parce que, d'une part, l'histoire d'Israël, dans l'état où elle nous est transmise, a été faussée de plusieurs façons et qu'il n'est pas toujours aisé de la restituer avec certitude ; et parce que, d'autre part, un nombre important de doctrines iraniennes ne sont connues que dans des écrits de basse époque, en pehlevi. Cependant, les travaux récents de M. H. S. Nyberg, notamment, sur la cosmologie, permettent de reconstituer au complet le système de Zoroastre : deux univers, création respective d'un principe bon et d'un principe mauvais, engagés l'un contre l'autre dans une lutte à laquelle le fidèle apporte son concours et qui doit prendre fin, à la venue du Sauveur, par le triomphe de la bonne création, la résurrection et le jugement, le paradis pour les bons et l'enfer pour les méchants.

Or, ce sont là autant de traits que la religion d'Israël ignore avant l'exil et qui s'y manifestent ensuite, l'un après l'autre (non sans quelque résistance, parfois, de la part de milieux plus attachés aux traditions) : distribution de la foule des anciens génies en bons et mauvais anges, promotion de Satan au rôle de prince des Ténèbres, apocalyptisme, croyance au Messie, au paradis et à la géhenne, à la résurrection et au jugement dernier. Cette poussée d'idées iraniennes en terre juive y a produit enfin le christianisme. Les Mages, ces prêtres iraniens, sont à leur place à la crèche de Bethléhem.

Le livre est écrit avec talent. Je n'en veux donner qu'un exemple, où l'on entend comme un écho de la « Vie de Jésus » : « Dans sa chère Galilée, il est le doux prophète aux séductions infinies qui, sur la montagne, ou près des berges d'un lac lumineux, retient la foule attentive par la séduction souriante et ferme de sa puissante bonté. »

— Jacques Duchesne

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